Les derniers hivers furent atypiques à plusieurs égards. Les sites de la pratique du sport ont connu une affluence inégalée (et souvent anarchique). Cette explosion du sport est globalement positive, mais tout cela remet sur la table une question longtemps maintenue dans l’ombre: celle de l’accès au territoire québécois. Que ce soit pour chercher les prochains secteurs légendaires ou s’éloigner des foules, les skieurs et skieuses s’enfoncent de plus en plus dans les forêts et montagnes du Québec. Sauf que s’y retrouver dans le dédale des désignations et des usages du territoire est tout sauf simple! Estski tente donc de faire la lumière sur cette question.
Commençons par le commencement: le territoire du Québec est essentiellement divisé entre des secteurs publics et privés. Les terres publiques, ou terres de la Couronne (et oui, on est toujours là à ce jour!), sont des parcelles de territoire appartenant à l’ensemble de la population, et qui sont gérées par l'État. Le territoire public couvre 92 % de la superficie du Québec.
Techniquement, quiconque le désire peut accéder et pratiquer bon nombre d’activités sur ces terres, à l’intérieur de certaines limites, visant essentiellement la préservation des milieux. Cependant, cet état des faits n’est pas aussi merveilleux qu’on pourrait le croire. L’enjeu principal quant au territoire public est son accès; dans bien des cas, ces territoires sont loin, peu d'informations existent à leur sujet, et souvent, les routes pour s’y rendre sont difficiles à utiliser, lorsqu’il y en a.
Pour ces raisons, le Québec s’est organisé à travers les années pour faciliter l’accès à certaines zones du territoire public pour permettre la pratique d’activités prisées, tout en assurant la préservation de celui-ci. Dans ce premier article, nous couvrirons les réserves fauniques, les zones d’exploitation contrôlée (ZEC) et les aires protégées (dont les parcs nationaux que nous connaissons bien). Elles constituent ensemble un éventail d’accès où bascule essentiellement la balance entre conservation et exploitation des ressources (lire ici surtout la pêche et la chasse).
Une troisième catégorie issue de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune se trouve être les réserves fauniques. Encore une fois, l’objectif de celles-ci est de donner accès à la population à la ressource pour des fins de chasse, de pêche et d’activités récréatives. Cette fois cependant, c’est la Société des établissements de plein air du Québec (SÉPAQ) qui est chargée d’en contrôler l’accès. L’essence reste toutefois la même que pour les ZEC, et bien qu’il faille valider à la pièce, il serait techniquement possible de skier sur ces territoires. Notez que les restrictions et l’ambiance générale régnant sur les réserves fauniques sont beaucoup plus proches de celles des ZEC que celles qu’on connaît des parcs nationaux de la SÉPAQ!
Une ZEC est un secteur où la gestion de l’accès à la ressource (chasse, pêche, plein air), sur les terres publiques en grande partie, est transférée à un organisme à but non lucratif, sous conditions. Ainsi, bien qu’il soit possible pour le gestionnaire d’établir certaines restrictions d’accès avec une justification adéquate (notamment quant aux périodes de chasse par rapport à l’accès au plein air), on considère que le territoire d’une ZEC est accessible et qu’il y est permis de pratiquer plusieurs activités, dont le ski. Les quatre grands principes auxquels doivent souscrire les ZEC sont:
Vous devez donc vous attendre à devoir vous enregistrer et débourser pour accéder au territoire d’une ZEC, mais en principe, une fois cela fait, vous pouvez essentiellement vous y déplacer comme sur le reste du territoire public. Notez cependant que vous ne devez pas vous attendre à des aménagements ou des services (dont les secours) nécessairement adaptés au ski!
Même si vous obtenez l’autorisation d’aller skier dans un de ces territoires, rappelez-vous que la chasse de certains gibiers (gélinottes, tétras, lièvres et dindons, notamment) se poursuit au moins une partie de l’hiver (ZEC, réserves fauniques)! Restez donc toujours vigilants, informez-vous au poste d’accueil, et surtout, soyez respectueux des autres usagers.
Je vous ai réservé ce morceau pour la fin, parce que c’est le plus complexe. En fait, les aires protégées représentent la catégorie avec le plus d’encadrement et d’exceptions, mais également celle que la moyenne des gens côtoie le plus souvent! Effectivement, c’est dans celle-ci qu’on retrouve notamment les parcs de la SÉPAQ et de Parcs Canada, mais ce n’est là qu’une fraction de ce qu’elle comprend. En fait, le terme « aires protégées » regroupe un ensemble de catégories plus ou moins strictes, mais portant toutes la mission principale de protéger et préserver le territoire naturel. Dans certains cas (comme pour les parcs), on peut y exercer plusieurs activités, et même de l’exploitation limitée. Dans d’autres, c’est la fameuse « cloche de verre », où on interdit même le passage humain pour préserver des caractéristiques rares ou fragiles.
La plupart des pays suivent les guides de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui dresse les lignes directrices de la conservation des écosystèmes et du territoire. Néanmoins, ceux-ci ont parfois un système parallèle à celui de l’UICN, soit parce qu’il existait avant la création de ces normes, soit pour répondre à des enjeux locaux. Notez que l’UICN ne reconnaît pas nécessairement toutes les aires protégées désignées par une autre instance; celles-ci doivent répondre à certaines exigences quant à la réelle protection accordée au milieu. Ainsi, alors que l’UICN propose 6 catégories de conservation, le Québec a jugé bon de détailler son réseau en… plus de 25 catégories! Notons que certaines d’entre elles sont critiquées dans le milieu de la conservation comme étant trop permissives, et laissant presque plus de place à l’exploitation qu’à la conservation.
Afin de clarifier un peu ce qu’il en retourne, le tableau suivant dressera un court portrait de chacun des niveaux de protection, et le second indiquera quelles activités y sont théoriquement permises. Retenez néanmoins que dans l’ensemble, ce sont ces territoires qui sont les plus contrôlés parmi les terres publiques. Enfin, on peut simplifier le sujet en disant que plus la valeur de la catégorie est élevée, plus le niveau de protection est permissif.
Après s'être situé dans la catégorie de conservation du tableau 1, on peut se rapporter au tableau deux pour voir les activités qui peuvent être appropriées selon l'IUCN. Le ski hors-piste pourrait se classer comme une activité de loisir sans prélèvement ou le tourisme intensif selon l'interprétation. Bref, le ski hors-piste n'est pas dans l'esprit de la conservation pour la catégorie 1a et 1b. À noter que ce n'est pas parce que c'est vert dans le tableau ci-dessous qu'on a l'doua.
Cet article visait à clarifier les distinctions principales des usages en terre publique. Mais comme vous l’avez peut-être constaté, il ne présente pas pour autant un parcours de découverte clé en main! C’est entre autres parce que malgré ces précisions, l’accès au territoire public du Québec reste complexe. Comme notre belle langue, il faut apprendre à naviguer entre les règles, les exceptions, et bien sûr, les exceptions d’exceptions!
L’exemple le plus évident concerne les parcs nationaux. Si vous avez bien suivi, vous aurez constaté qu’il s’agit de la catégorie 2 (UICN) et 7-8 (Canada et Québec) du réseau d’aires protégées. Vous aurez également constaté qu’il est théoriquement permis (au sens de la loi) de skier dans ces zones. Mais alors, pourquoi ch’peux pas aller shredder dans les Hautes-Gorges?
Il faut se rappeler que la mission principale des aires protégées est de conserver le territoire naturel et protéger la faune et la flore. Ainsi, chaque gestionnaire désigné responsable d’une telle zone doit dresser un plan explicitant quelles portions du territoire est accessible, quelles activités peuvent y être pratiquées, et de quelle manière. C’est pour cette raison, qu’il est possible de skier dans les pistes du mont Orford (oui oui, la station se trouve dans le parc national! Sous bail à un OBNL), mais pas au mont Mégantic par exemple. C’est aussi pour cette raison que le parc national de la Jacques-Cartier ouvre certains secteurs au ski hors-piste sous conditions (couvert de neige minimal pour limiter l’impact sur la végétation), mais dans des zones bien définies.
Néanmoins, certaines décisions sont parfois discutables, et répondent à l’esprit général de la loi québécoise qui se résume ainsi: « on interdit tout, puis on autorise certaines activités ». Ainsi, certains territoires skiables sont restreints non pas parce qu’ils sont réellement impropres à la mission des aires protégées, mais simplement parce que cette question n’a jamais été analysée concrètement!
C’est donc dire qu’il est possible de développer de nouveaux accès au ski hors-piste. C’est aussi pour cette raison qu’il est déconseillé de ne pas respecter les règles, car vous briserez peut-être un lien de confiance qu’un organisme tente de créer avec le gestionnaire de l’aire protégée. Ce qui réduira les chances qu’un accès légal et solide soit créé! Si vous désirez vous impliquer pour ouvrir de nouveaux territoires skiables, référez-vous plutôt aux organismes qui œuvrent dans ces dossiers dans la région.
Mais ne vous découragez pas pour autant, car la réputation de notre grand territoire naturel n’est pas volée: il y a bel et bien des petits bijoux à découvrir, et de l’aventure à aller trouver. Posez la question au gestionnaire du territoire qui vous intéresse, et préparez-vous à expliquer ce que vous allez faire là; ils sont plus souvent curieux que réfractaires!
Pour continuer la lecture, voici un article concernant le 8% de territoire privé de la province!
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