À force de parcourir les cartes à la recherche de nouveaux terrains de jeu pour le ski hors-piste, il nous arrive de tomber sur de belles petites pépites encore peu connues. On cherchait des montagnes à proximité d'une route (toujours relatif) et peu skiées. Les monts Akami-Uapishkᵁ – KakKasuak - Mealy à Terre-Neuve-et-Labrador se sont rapidement distingués.
Pour commencer, rien de tel qu'un peu d'histoire, soit celle de la création récente d'un 46e parc national au Canada. Ce n'est que tout récemment, avec la signature le 31 juillet 2015 d'un protocole d'accord fédéral/provincial sur le transfert des terres, que s'est créé le parc. Le 10 juillet 2017, les terres sont officiellements transférées à Parcs Canada. Une des caractéristiques du parc est son modèle de cogestion entre Parcs Canada et les collectivités autochtones que sont la nation Innue du Labrador, le gouvernement du Nunatsiavut, le conseil communautaire de NunatuKavut et les Innus du Québec.
Cette volonté de cogestion se reflète dans le nom choisi pour le parc, qui est constitué de trois mots collés les uns aux autres : Akami-Uapishkᵁ, un mot innu signifiant « des montagnes blanches de l’autre côté », KakKasuak, le mot inuit pour désigner une montagne, et Mealy, le nom occidental.
Position des monts Mealy au Canada - source OpenStreetMap
On ne va pas vous le cacher, ce n'est pas comme aller aux Champs-de-Mars en Gaspésie, et c'est encore moins le Club Med. Préparez-vous à une bonne expédition. Ce qui suit présente donc dans les grandes lignes la façon dont nous avons accédé au plus haut sommet du nord des Mealy.
Si vous aimez les longues distances en voiture (1778km depuis Montréal) et si cela vous plait de croiser des camions à toute vitesse sur une route enneigée peu fréquentée, on vous conseille d'y aller en voiture. Vous passerez par le fleuron de l'hydroélectricité québécoise, le barrage de Manic 5, et par la curiosité de la ville : le mur de Fermont. La route n'est pas toujours belle du côté québécois mais elle s'améliore arrivé au Labrador. Vous pouvez même vous procurer des autocolants "J'ai survécu à la 389" à Baie-Comeau ou à Fermont.
Vous avez également la possibilité de vous y rendre en avion mais le prix vous découragera certainement.
Le barrage de Manic 5 - Photo Émile Dontigny
Le trajet Montréal - Happy Valley-Goose Bay - source google map
Pour se rendre près des hauts sommets, ce n'est pas si facile. Certes, vous pourrez trouver un hélicoptère pour une somme importante. Et il y a possiblement des propriétaires d'avion dans la région, mais nos recherches récentes ne nous ont pas permis de trouver ce que l'on voulait.
Bref, le bon vieux Ski-Doo reste le meilleur moyen de locomotion. Le trajet est assez chaotique puisque le lac Melville comporte son lot de péripéties avec ses zones d'eau, sa slush et ses motons de glace ici et là.
La distance est aussi intéressante : 140km de la ville. Il y a de quoi profiter du paysage. Pour le moment, en attendant que le parc s'organise, c'est avec des locaux que vous aurez le plus de chances d'y aller. Le parc ne répond pas toujours très rapidement aux messages et n'est pas encore très structuré.
Slush sur le lac en Ski-Doo - Photo Charles Bernier
Vous êtes au pied des montagnes, un peu fatigué par le voyage, mais heureux. Il serait compliqué de se rendre plus loin en Ski-Doo. Finies les longues étendues de glace à perte de vue, place à la forêt et au relief escarpé. D'un premier coup d'oeil, vous serez surpris par la forêt massive et impénétrable et par les contre-forts rocheux infranchissables. À tel point que ce n'est que par les ruisseaux que vous pourrez vous rendre à ski (sauf nos conducteurs qui ont réussi en Ski-Doo en mode léger deux semaines plus tard). Il faudra compter 30km pour vous rendre au pied de la seconde plus haute montagne du massif. Le ruisseau n'est pas simple, plusieurs cascades et trous d'eau vont vous garder en alerte. Vous serez même content de monter un petit col sans à vous soucier de l'eau. Pour en voir plus, allez voir notre carte.
Le ruisseau est parfois assez accidenté et comporte bon nombre de trous d'eau et de ponts de glace fragiles - Photo Thomas Thiery
Si on vous dit alpin et climat subarctique (entre le Labrador intérieur et costal), cela donne quelque chose de plutôt intéressant. Même si les mois de janvier et février restent froids et venteux dans ce secteur, le mois de mars est plutôt agréable, surtout en ville. Il faut compter 5ºC de différence entre le lac et le pied des sommets. L'air y est plus sec et la quantité de neige absolument remarquable : 6m de snowpack fin mars au camp de base. D'après le site Heritage, les monts Mealy seraient l'endroit le plus neigeux. Les variations de température, comme dans la majorité de l'Est, peuvent être importantes et brutales. Au début du printemps 2018, la température est passée de -25ºC à 2ºC en l'espace de 3 jours. Le vent dominant est du sud-ouest et cela a une grosse importance dans l'alpin qui ne bénéficie pas de beaucoup de protection contre le vent.
Quelques mots sur le snowpack : plaque sur plaque, et bonne cohésion entre elles. Pas trop de facettage, probablement dû au manteau neigeux important et aux températures qui, malgré la latitude, sont modérées à cause de sa proximité avec l'océan (gradiant de température faible).
Graphique des températures et des précipitations pour les normales climatiques au Canada de 1981 à 2010 à Happy Valley-Goose Bay - La quantité de précipitations est plus importante dans les montagnes et les températures plus fraîches - source meteo.gc.ca
Sur le sommet des montagnes, on voit très nettement le transport de neige par le vent. Cela ressemble un peu à de la brume - Photo Charles Bernier
Chute moyenne de neige à Terre-Neuve-et-Labrador - source Heritage Website
Détail du budget le plus low-cost que l'on a pu faire :
Soit un total de 1200$ tout compris par personne. Ce prix est assez agressif, donc sans confort et en mutualisant les dépenses pour 6.
L'épicierie sur place n'est vraiment pas bon marché. On vous conseille d'amener le plus possible votre nourriture, surtout si vous voulez manger des fruits et légumes. Les hôtels dans le nord sont aussi relativement dispendieux. À éviter.
Dans les hauts sommets des monts Mealy, l'alpin s'y trouve à perte de vue et les possibilités de descentes sont presques infinies. La topographie de ces montagnes est très particulière. Façonnés par les glaciers, les flancs sont très irréguliers. De grandes stries, présentes ici et là, ont l'avantage de fabriquer des lignes dans les faces bien abritées du vent. Elles ont le désavantage de produire des petites descentes lors de l'ascension, surtout quand vous suivez une épaule.
Sur cette photo satellite, on voit très bien les stries sur l'épaule de cette montagne. Ne les sous-estimez pas. Il est parfois difficile de les traverser, car elles sont profondes et accidentées - source google map
Les stries (comme des balafres) dans les hauts sommets des monts Mealy - Photo Émile Dontigny
Sommet et alpin à perte de vue - Photo Charles Bernier
De larges blocs transportés par les glaciers sont aussi disséminés dans tout le massif. Ils peuvent parfois être enfouis sous peu de neige et venir chatouiller le dessous de vos skis.
Exemples de blocs, comme posés là par une main divine - Photo Émile Dontigny
Enfin et le plus beau, ce sont ces magnifiques cirques glaciaires qui constituent sans conteste les endroits les plus impressionnants et imposants. Les lignes skiables y sont exigeantes voire épeurantes.
Le cirque glaciaire du sommet principal - Photo Émile Dontigny
Voici les lignes que l'on a skiées et les particularités que l'on peut y trouver dans la carte ci-dessous.
Nous pouvons faire cette remarque globale : le vent souffle souvent et il est assez fort. Quasiment toutes les pentes sont donc affectées, même les pentes nord-est situées sous le vent dominant. Néanmoins, les pentes bien abritées vont résister plus longtemps.
Pour voir les faces, cliquez sur les icônes ou tracés. On a essayé de photographier toutes les faces que l'on a pu voir lors de notre expédition.
Le parc, géré par Parcs Canada et les collectivités autochtones, s'organise de plus en plus. Il est donc probable que la réglementation change d'ici peu en matière d'accès au territoire. En attendant que le parc se structure, l'accès est encore assez libre, mais les approches difficiles. Dans un avenir assez proche, on pourrait voir apparaître plus d'offres pour accéder au parc, avec des activités guidées et non guidées, le tout accompagné de quelques règles plus restrictives, surtout l'été.
Autre point important : les monts Mealy sont des terres sacrées pour les peuples autochtones, ce qui nécessite de laisser le moins d'empreintes après votre passage. Dans une démarche de « Leave no trace », évitez donc de faire des feux avec le bois sur place, ramassez vos déchets et utilisez des moyens de transports doux.
Le récit de l'expédition Akami-Uapishkᵁ : premières descentes à ski aux monts Mealy au Labrador d'Estski et The Loners
Heritage - Données sur l'épaisseur de neige à Terre-Neuve-et-Labrador
Les prévisions et historique météo du gouvernement du Canada pour Happy Valley-Goose Bay
Glacial History of the Eastern Mealy Mountains
Page du site de Parcs Canada
Climbs And Expeditions 2009 of Americana Alpine CLub - M&M Ridge
Débuter en ski de randonnée alpine n’est pas une mince affaire. L’équipe d’Estski s’est associé Creg Evanoff, guide ACMG, et Brett St. Clair, un vétéran de la discipline, pour vous préparer un livre électronique (e-book) contenant quelques conseils sur l’équipement nécessaire et la gestion d’une sortie, en plus d’offrir des ressources supplémentaires. Profites-en, c’est gratuit! Inscris ton courriel ci-dessous pour le confirmer et connecte toi pour obtenir le lien de téléchargement: