L'hiver nous réserve toujours de nombreuses surprises dans l'Est, bonnes comme mauvaises. Chez nous, la variabilité est le mot d'ordre et cela fait partie du charme de la pratique d'activités en montagne. Alors que la première neige est tombée et que les températures refroidissent, les prévisions pour le début de l'hiver s'éclaircissent et de plus en plus on peut avoir une idée générale de ce qui s'en vient côté météo. Alors, est-ce que les déluges des dernières semaines se transformeront en tempêtes monstres une fois l'hiver venu ? Aurons-nous droit à un événement El Niño hors du commun comme le veut la rumeur et aurons-nous finalement plus de 10 jours de bon ski en Estrie et en Nouvelle-Angleterre cette saison ? Voyons voir tout cela.
Eh oui, après 3 ans d'absence, c'est le retour d'El Niño dans l'océan Pacifique. Le phénomène aura déjà fait couler beaucoup d'encre cette année avant même son apparition dans un contexte de multiplication d'événements extrêmes reliés au climat. Certains mentionnent même que le phénomène atteindra une intensité apparemment jamais vue et font état de prévisions plutôt alarmantes.
Aux dernières nouvelles, auprès de sources crédibles, cela n'est pas le cas. Selon les données du Climate Prediction Center aux États-Unis datant du mois d'octobre, il y aurait 75 à 85% de probabilités que le phénomène atteigne l'échelle de haute intensité. Pour que cela arrive, selon la définition généralement acceptée, l'on doit observer 1.5 degrés de réchauffement des eaux de surface dans la région cible qui détermine l'index El Niño-La Niña. Selon les dernières informations, il y aurait environ 30% de chances que notre El Niño 2023 génère 2 degrés de réchauffement, ce qui serait alors considéré comme un événement très fort ou historique. Cela ne semble pas gagné à première vue. Le phénomène atteindrait le maximum de son intensité en décembre avant de se dissiper graduellement au cours de l'hiver. Il y aurait toutefois 95% de chances que cela perdure au moins jusqu'au mois de mars. Donc, si l'on se fie aux experts, rien d'alarmant et d'exceptionnel de ce côté, et on évitera apparemment la catastrophe climatique pour l'instant.
Bien que El Niño n'ait pas d'influence directe sur notre climat, cela favorise généralement plus de crêtage qu'à la normale sur l'ouest du Canada, ce qui favorise la descente d'air froid vers nos secteurs. Il n'est toutefois pas rare que les hivers El Niño soient ponctués de redoux de plusieurs jours ainsi que de nombreux systèmes de type clippers, puisqu'une circulation provenant des prairies canadiennes est privilégiée. Les longues fenêtres de froid sont également plus rares que durant les hivers La Niña sur les secteurs plus au sud, puisque la température est habituellement plus changeante dù au fait que plus d'air chaud qu'a la normale est normalement déplacée sur le continent nord-américain par le courant jet tropical.
Cet index observe en quelque sorte les patrons de circulation atmosphérique en haute altitude dans la stratosphère. En effet, les vents dans les plus hautes couches de l'atmosphère au niveau de l'équateur viennent s'inverser et passer d'ouest en est et l'inverse sur une base d'environ 14 mois, d'où le nom de quasi-biennale. Le régime de vent inversé prend forme au sommet de la stratosphère et se propage alors vers le bas, à rythme d'environ 1 kilomètre par mois avant de se dissiper en atteignant la troposphère. Ces vents viennent ultimement jouer dans notre cour puisque ceux-ci ont une influence sur les vents d'ouest entourant le vortex polaire, qui s'étend également jusque dans la stratosphère. Ce qui se passe aux sommets de l'atmosphère a donc une influence considérable sur notre climat hivernal, qui est dicté par l'allure de la circulation polaire.
Présentement, nous nous trouvons en phase d'est de l'oscillation quasi-biennale, caractérisée par des vents d'est au niveau de l'équateur. La phase est coïncide généralement avec un courant-jet polaire plus faible dans l'océan Atlantique et des hivers plus froids en Europe et dans l'est de l'Amérique du Nord. On observe également plus d'événements de réchauffement au niveau de la stratosphère qui peuvent déranger le vortex polaire lors de cette phase est, ce qui peut ultimement mener à des résultats plutôt intéressants chez nous. Bien que les événements de réchauffement stratosphériques soient causés par le transfert d'ondes planétaires de la troposphère vers la stratosphère, les vents d'est au niveau de l'équateur peuvent alors contribuer au ralentissement des vents d'ouest du vortex polaire et ainsi à son réchauffement. La modification de la structure de l'atmosphère causée par les vents d'est fait également en sorte que ces ondes planétaires sont dirigées vers de plus hautes latitudes que lors de la phase ouest de l'oscillation quasi-biennale. En gros, il risque d'y avoir bien de l'action à ce niveau cette saison.
On pourrait en dire long sur l'état de différents indices, mais on ne s'éternisera pas trop là-dessus. Pour se faire une idée de ce qui nous attend, en plus des données fournies par les modèles, on est allé fouiller dans les archives pour dénicher une saison avec des conditions océaniques et atmosphériques semblables. Lorsque l'on remonte dans le temps, la dernière saison hivernale où l'on se trouvait au beau milieu de la phase est de l'oscillation quasi-biennale, couplée avec un événement El Niño de haute intensité, est 1997-1998. Malgré que l'on avait alors assisté à l'événement El Niño le plus fort jamais enregistré, dans un contexte où les températures océaniques moyennes cette année se trouvent en territoire jamais vu, on a comparé les anomalies de température des eaux de surfaces à pareille date entre octobre 1997 et octobre 2023.
Outre El Niño et le fait que l'on observe beaucoup plus d'anomalies chaudes cette année, on remarque que certaines anomalies de température sont similaires lors de ces deux années. On observe bien sûr El Niño au niveau de l'équateur, mais aussi des eaux plus froides dans l'est de l'océan indien. Malgré que l'oscillation décennale du Pacifique soit complètement à l'opposée pour les mois d'octobre 1997 et 2023, les conditions à la mi-octobre dans l'océan Pacifique nord au large de l'Amérique sont semblables, avec des eaux plus chaudes au nord et au sud et des eaux plus froides au large de la frontière entre le Canada et les États-Unis. On note également que l'Atlantique nord est chaud dans les deux cas, et la zone plus froide que l'on observe au large de la côte Est cette année devrait, selon les modèles, continuer de croître. Donc, cela n'est peut-être pas un match parfait, mais bon, considérant tout cela, on a comparé les données historiques de la saison 1997-1998 avec celles des modèles pour la saison qui s'en vient, pour voir si cela pointait sensiblement dans la même direction. Les résultats sont plutôt intéressants.
Attachez votre tuque avec de la broche, parce que de nombreux signes pointent vers un départ canon de la saison cette année. Cela pourrait arriver dès les premiers jours de novembre. Du côté des modèles, on note un signal assez constant pointant vers des conditions favorables aux tempêtes côtières dans l'Atlantique. Du crêtage récurrent sur la côte pourrait toutefois jouer en notre désavantage, surtout sur les secteurs du sud.
Beaucoup d'action semble en vue, et le potentiel d'avoir de bonnes conditions tôt en saison semble réel. On s'attend à légèrement plus de précipitations qu'à la normale selon les modèles, tout comme cela avait été le cas en octobre 1997. Si l'on se fie à l'histoire, il pourrait faire bien froid assez tôt durant la saison, alors que le mois de novembre 1997 avait été sous les moyennes de saison dans tout l'est du continent. On avait en effet enregistré des températures avoisinant les -20 degrés à la mi-novembre, jusque dans le sud du Québec en 1997.
Les modèles semblent également pointer dans cette direction en proposant des températures légèrement plus froides que la normale. Il ne serait donc pas surprenant de voir des secteurs au nord de la ville de Québec commencer à construire une base au cours des prochaines semaines.
La situation semble se compliquer au mois de décembre. Selon les données du mois de décembre 1997, on avait alors expérimenté un mois de décembre assez remarquablement en dents de scie côté températures. Le mois avait été au-dessus des normales de saison côté températures, mais aussi plus sec qu'à la normale. Le déficit de précipitations avait été plus important sur les secteurs plus à l'est, alors que de nombreux systèmes coupaient alors dans les terres vers la Baie-James. Les températures chaudes et la pluie avaient causé un début de saison difficile, particulièrement en Estrie et en Nouvelle-Angleterre. Le signal est plus ou moins clair sur les modèles, mais ceux-ci semblent être d'avis que l'on ne sera pas totalement pris au dépourvu côté air froid. Tous les modèles pointent vers plus de précipitations qu'à la normale, donc de l'action, il y en aura.
Les modèles semblent miser sur un vortex polaire un peu plus fort que novembre et des anomalies de températures froides vers le sud des États-Unis pointent vers un courant-jet faible, voire vers des blocages atmosphériques. On pourrait donc effectivement constater un mois de décembre avec de nombreux grands écarts de température. On pourrait en voir de toutes les couleurs avec les systèmes associés à cela. Certains modèles semblent miser sur un déficit d'air froid nous provenant du nord nous gardera plus au chaud que la normale. Ce scénario pourrait faire bien du sens avec un vortex polaire fort et si les conditions de reprise des glaces dans l'océan Arctique sont lentes, étant donné que l'on a présentement beaucoup d'eaux ouvertes entre la Sibérie et le Yukon. Un signal encourageant nous provient, par contre, de l'Atlantique, donc il est possible que du blocage à notre avantage reste en place pour sauver le tout. Du bon ski à Noël ne semble pas gagné, mais semble plus probable que par les années passées.
Janvier 1998 est définitivement ancré dans la mémoire de la majorité des Québécois de plus de 30 ans. Particulièrement ceux qui habitaient la Montérégie à ce moment, puisque la crise du verglas fut une expérience assez traumatisante pour plusieurs. Outre cet événement climatique hors du commun, les températures ont continué de jouer au yo-yo au cours de tout le mois. Certains se souviendront des grands froids après le verglas, mais des périodes plus chaudes avaient entrecoupé les périodes froides tout au long du mois, et le début du mois avait été largement au-dessus des normales. On avait également eu plus de précipitations qu'à la normale au cours de janvier 1998 sur les secteurs du sud et de l'est, tandis que la tendance était un peu plus sèche au nord de Québec. Malgré les nombreux écarts de température, le mois avait été plus chaud qu'à la normale au final.
Bien que l'on perde de la clarté à ce moment sur les modèles, ceux-ci semblent pointer aussi vers un mois de janvier plus chaud et plus humide que la normale sur les secteurs les plus à l'est. Chose qui ressort également sur les modèles est un vortex polaire faible ainsi que du crêtage en altitude sur les secteurs de l'Alaska et de l'Est de la Sibérie, ouvrant la porte à une circulation polaire avantageuse pour les secteurs de l'Est.
On note également des anomalies de températures froides sur le sud des États-Unis, signe que l'air chaud pourrait continuer à faire son chemin vers le nord advenant un courant-jet faible. Le fait que cela reste légèrement plus chaud que la normale est souhaitable au cours des mois d'hiver pour ne pas que l'air arctique en place ne déplace le corridor de tempêtes au sud, mais se retrouver avec un courant-jet amplifié avec de telles conditions est un peu plus risqué. Le classique dégel de janvier ne semble pas hors de question considérant tout cela. Un mauvais départ à la saison sur les secteurs plus au sud pourrait être difficile à rattraper.
La qualité des données produites par les modèles étant réduite quasi à néant après février, cela sera le dernier mois sur lequel on se penchera. Si l'on regarde le passé encore une fois, février 1998 avait continué un peu dans la même optique que le mois de janvier, soit avec des températures erratiques généralement plus chaudes que la normale. La pluie était demeurée un problème tout l'hiver sur les secteurs au sud de la ville de Québec, et le mois avait été généralement plus sec que la normale sur les secteurs plus au nord. Au final, mis à part un court épisode vers la mi-février, aucun grand froid ne s'est produit en février 1998. Cela avait donné un résultat plutôt désastreux sur les secteurs plus au sud.
À première vue, les informations disponibles sur les modèles ne semblent pas pointer vers un tel désastre. Bien que rien ne ressorte comme tendance côté précipitations, les modèles ne semblent pas pencher vers le fait que février 2023 sera plus chaud qu'à la normale. Au contraire, on mise plutôt sur le fait qu'une partie de la circulation polaire pourrait se centrer sur le nord du Québec et l'île de Baffin, nous assurant un apport d'air froid. On note toutefois encore une fois des anomalies de températures récurrentes dans de nombreuses mises à jour dans le sud du continent. Cela pourrait possiblement tenir les secteurs les plus près de la frontière avec les États-Unis sur la lame du rasoir lors de passage de systèmes. Cela pourrait bien finir comme cela pourrait mal tourner pour ces secteurs. À ce point, je me permets de rester optimiste.
Au final, l'hiver 1997-1998 a été un désastre dans tout les sens du terme. En plus du verglas et de ses impacts, très peu de neige s'était accumulée sur les secteurs plus au sud dû aux nombreux redoux. Les secteurs plus au nord n'avaient pas vraiment été mieux traités, puisque cela est demeuré relativement sec tout l'hiver.
Malgré un départ plutôt canon, l'hiver 1997-1998 demeure à ce jour l'un des hivers les moins neigeux enregistrés dans les dernières décennies selon les données que l'on a pu dénicher sur les sites webs de station et sur meteo.gc.ca. J'aurais bien aimé avoir du support visuel pour les données historiques au Canada, mais cela semble non disponible du côté d'Environnement Canada, malheureusement. À en croire les données des modèles, on aurait droit à un départ similaire cette saison avec possiblement un bien meilleur résultat. Seul le temps nous le dira au final.
Cet article est constitué des opinions de l'auteur et ne représente pas une prévision officielle. Pour les dernières informations, vous référer au site d'Environnement Canada ou de la National Oceanic and Atmospheric Administration aux États-Unis.
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