Que feriez-vous si vous deviez survivre une nuit en forêt l’hiver ? Si jamais vous êtes coincés en montagne, sans équipement, lors d’une sortie en ski, sauriez-vous vous débrouiller pour passer la nuit en mode survie ?
« On ne prévoit jamais de se perdre en forêt et ça peut arriver à n’importe quel moment », a remarqué d’emblée Manu Tranquard, professeur au Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air de l’UQAC lors d’un cours de survie réalisé à la Forêt Montmorency en décembre 2019. Que ce soit sur son terrain de chasse où l’on va depuis 25 ans, en allant prendre une marche avec son chien, ou en ski hors-piste, quelques incidents suffisent pour tout faire déraper.
« Environ 25 personnes meurent dans la nature chaque année au Québec, où le froid est le principal danger », ajoute-t-il. Plus on passe de temps en forêt et plus les risques sont élevés. Peu importe les circonstances, les risques de se perdre en forêt sont bien réels, et ce même si on connaît un territoire comme le fond de sa poche.
Dans une situation de survie, tout est une question de temps, explique Manu Tranquard. D’une part, on doit s’arranger pour diminuer le temps des secours, en utilisant différents outils de communication… lorsqu’ils sont disponibles. Et d’autre part, on doit augmenter le temps de résistance, ce qui représente la durée pendant laquelle on peut survivre face aux éléments, autant d’un point de vue physique que psychologique. « Les deux dangers principaux sont le froid et la panique », souligne le professeur, en ajoutant que la moyenne de température annuelle est de 0 °C en forêt boréale.
Pour outiller ses étudiants à être plus autonomes, même en situation réelle de survie, l’équipe du LERPA ne compte pas répéter ce qui se trouve dans les guides sans les remettre en question. « On trouve de tout et n’importe quoi dans les guides de survie et dans les vidéos sur YouTube », note Manu Tranquard. Quand sa vie est en jeu, il faut utiliser des techniques éprouvées. C’est pourquoi son équipe de travail a développé des protocoles scientifiques pour déceler quelles sont les meilleures techniques pour survivre en forêt, notamment en ce qui a trait à l’efficacité thermique des abris de survie, les meilleures techniques d’allumage de feu sans allumette, les meilleures techniques de maintien d’un feu selon les essences de bois de la forêt boréale et un outil de prise de décision (autres liens vers les recherches à venir). Le LERPA a même développé un outil d’auto-évaluation du potentiel de survie en forêt.
En situation de survie, tout ce qui se trouve autour de nous peut devenir une ressource utile, en plus de tout l’équipement que l’on traîne déjà.
L’outil le plus important à trimballer sur soi : le briquet. Bien qu’il soit possible de partir un feu sans allumette, il faut énormément de pratique pour y parvenir, et quand tout est humide, ça devient rapidement une tâche impossible. « Achetez-vous 10 briquets et cachez-en partout, dans vos manteaux et dans vos sacs à dos », propose plutôt Manu Tranquard, ajoutant que le froid est la plus grande menace dans la forêt boréale.
Même avec un briquet, partir un feu sous la pluie n’est pas de tout repos, dit-il. « Il faut être très méthodique pour démarrer un feu sous la pluie, explique le chercheur du LERPA. Il faut séparer les couches de l’écorce de bouleau pour utiliser seulement la partie sèche. Lorsque le feu est bien pris, on ajoute ensuite l’étage suivant. » Et il ne faut pas essayer de faire un feu sur la neige. On doit creuser jusqu’au sol, ou faire faire une base, idéalement avec du bois, pour éviter que les tisons ne s’éteignent dans la neige.
Trouver assez de ressources est la clé de la réussite dans une situation de survie. Si on se retrouve sur des sommets dénudés, redescendre en milieu forestier pour s’y réfugier peut être un excellent choix, s’il est possible de se déplacer sécuritairement, car on retrouve beaucoup plus de ressources en forêt, notamment du combustible pour se réchauffer.
Avant de choisir l’emplacement pour passer la nuit, il faut faire un inventaire des ressources disponibles : de l’amadou (matériaux secs pour démarrer le feu), du bois assez sec pour brûler, ainsi que des perches, du sapinage et tout autre matériau disponible pour construire l’abri. Il faut aussi s’assurer que l’emplacement est sécuritaire, à l’abri des avalanches. Inspectez aussi les arbres morts à proximité afin d’éviter qu’un chicot (arbre mort) ne vous tombe sur la tête !
Chaque minute compte avant le coucher du soleil et on doit travailler méthodiquement pour récolter du bois, tout en conservant au maximum son énergie. Il faut aussi éviter de suer, car la nuit sera désagréable avec des vêtements mouillés qui favorisent la perte de chaleur. Si vous avez chaud, enlevez une couche et gérez votre chaleur pour rester au sec.
Combien faut-il de bois pour passer une nuit confortable ? « Plus », répond toujours Manu Tranquard. Avant la tombée de la nuit, pas question de prendre une minute de repos, car il faut stocker le maximum de bois. Il est aussi préférable d’aller chercher les ressources le plus loin possible, car il sera possible de ramasser du bois à proximité en soirée, à la lueur du feu.
Bien que la plupart des livres et les forces armées canadiennes préconisent l’utilisation d’un abri en appentis, l’équipe du LERPA a démontré, avec un détecteur de chaleur, que la technique du « banc de parc » était beaucoup plus efficace, lors d’un projet de recherche réalisé avec un inspecteur en bâtiment. En gros, peu importe le type d’abri, se coucher sur le sol n’est pas aussi efficace que lorsque l’on est surélevé, car le sol gelé génère d’importantes pertes de chaleur et un énorme inconfort.
Pour construire un banc de parc, il faut une vingtaine de longs billots de bois d’environ 15 cm de diamètre. Empilez vos billots en les appuyant sur deux arbres pour former un mur. Après avoir empilé quelques billots, placez deux tiges perpendiculaires, qui formeront une base pour le banc. Puis, complétez le mur arrière. Trouvez ensuite de longues tiges de bois flexibles pour faire un banc/lit confortable. Pour terminer votre abri, fabriquez un toit avec des branches recouvertes de gros morceaux d’écorce et ajoutez des murs au besoin. Une fois l’abri construit, allumez un feu à proximité.
« La technique du banc de parc fonctionne comme un barbecue, illustre le chercheur. L’air chaud monte pour réchauffer l’abri et enveloppe la personne à l’intérieur. » Le rayonnement du feu a donc fait en sorte que la température de surface du banc (et non par la température ambiante) a grimpé à 30 °C. « La structure en bois fonctionne alors comme un foyer de masse, car elle emmagasine la chaleur », note Manu Tranquard qui ne s’attendait pas à faire cette découverte. Le banc de parc est toutefois l’abri qui nécessite la plus grande dépense énergétique pour la construction, qui prend au moins deux heures d’effort.
Dans les abris en appentis, la température à l’avant de la personne en mode survie s’élevait à 10 °C alors qu’elle était de 0 °C à l’arrière du corps. « Ces conditions amenaient un inconfort local, ce qui empêchait les participants de dormir », note Manu Tranquard.
En ce qui a trait aux abris sans feu, aucun des abris testés n’a démontré une réelle efficacité. « Un abri sans feu apporte surtout un réconfort psychologique, car un abri n’apporte pas beaucoup de chaleur au niveau métabolique », remarque le directeur du LERPA.
Que ce soit en utilisant une bâche, une structure en A, ou encore la technique du nid d’oiseau, il est pratiquement impossible de réchauffer l’abri avec sa température corporelle.
En milieu alpin, il est aussi possible de creuser une caverne de neige, une technique rapide et efficace, mais qui demeurera quand même assez froide. « L’idée est de creuser la neige au sol de manière à faire un trou en contre-bas tout en conservant une épaisseur de neige sur le dessus et en faisant une sorte de L pour couper le vent à l’entrée », explique Manu Tranquard.
Pour maximiser le confort, il demeure important de construire l’abri le plus petit possible, idéalement dans un milieu clos, en isolant le sol au maximum avec des matériaux sec (du foin plutôt que des branches qui ont des aiguilles remplies d’eau), car le sol génère d’importantes pertes de chaleur par convection.
Bien qu’une caverne protège des intempéries, le temps sera très long à l’intérieur et il sera difficile de se faire repérer par les secours, le cas échéant, ajoute Manu Tranquard.
Malgré le froid, la construction d’un abri de fortune demeure pertinente, car elle apporte un réconfort psychologique, estime ce dernier. « En travaillant sur un abri, on retrouve un certain état de normalité et on éloigne le deuxième danger majeur en région éloignée, la panique. » De plus, un abri, ou une bâche permettent aussi de se protéger du vent.
Avec l’aide des skis et d’une bâche, il est aussi possible de construire un abri dans une tranchée. Des branches de sapins peuvent aussi être utiles pour fabriquer des raquettes de fortune en cas de bris d’équipement.
L’état psychologique d’une personne est un des facteurs clés dans une situation de survie, car la panique est à proscrire. Pour agrandir sa zone de confort et ses aptitudes en autonomie, Manu Tranquard suggère par ailleurs de tester sa résilience et ses techniques de survie en faisant des sorties de camping sans équipement, à proximité de la maison. « Ça permet de prendre confiance en soi, de pratiquer ses techniques et de savoir qu’on peut passer à travers si une telle situation se produit », dit-il.
Prêt à passer une petite nuit dans le bois sans équipement cet hiver ? Le défi est lancé.
Le Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air (LERPA) de l’Université du Québec à Chicoutimi est le seul laboratoire universitaire qui fait des expériences sur l’autonomie avancée en milieu éloigné, en développant notamment les concepts de psychologie de la survie et du processus de prise de décision.
Cet article a été rendu possible grâce au support du ministère de l'Éducation du Québec et son programme de soutien aux initiatives en promotion de la sécurité 2019-2022
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