L’île de Baffin est un territoire pour les aventuriers qui aiment explorer hors des sentiers battus. Une destination de paradis accessible pour quiconque aime le ski de montagne ! Reportage par Philippe et Simon Gauthier.
Pour notre troisième voyage sur l’île de Baffin, nous avons décidé d’établir une nouvelle route en ski de montagne qui traverse le Parc National de Sirmilik, une vaste étendue de glaciers et de montagnes située à l’extrémité nord de l’île de Baffin. Pendant 25 jours, notre groupe de quatre personnes (deux équipes père-fils) a skié 350 km dans des territoires isolés. Nous avons cartographié une route de niveau intermédiaire, parsemée de glaciers et de montagnes, qui pourra plaire aux aventuriers et amateurs de ski de montagne.
La route choisie relie les villages côtiers d'Arctic Bay (départ) et de Pond Inlet (arrivée) en traversant deux grandes régions du Parc National de Sirmilik : la péninsule de Borden et l’île de Bylot. C’est une route de style de point « A » à point « B », où les deux extrémités sont accessibles par avion (Canadian North), ce qui simplifie la logistique et permet de minimiser les coûts liés aux transports.
Premièrement, notre route traverse la péninsule de Borden, avec ses calottes glaciaires, ses immenses canyons et ses ravins abrupts et complexes. Deuxièmement, l’île de Bylot, un pays de glaciers et de sommets skiables, déjà bien reconnue comme une excellente destination pour le ski de montagne.
Le départ se fait donc le 3 mai à Arctic Bay, un petit village inuit de quelque 800 personnes situé à 73 degrés nord de latitude. Après un court trajet en motoneige (25 km) pour traverser l’un des nombreux fjords entourant le village, nos amis Inuits nous déposent à l’embouchure du delta de la rivière Strathcona. Nous sommes maintenant sur la péninsule de Borden, au km « 0 » de notre traversée. Il fait beau, la température avoisine les -5°C et nous voyons une grande étendue de neige vierge qui nous sépare des montagnes au loin.
Fébriles, nous saluons une dernière fois nos amis, qui seront les derniers êtres humains que nous verrons avant l’arrivée, 25 jours plus tard !
Il va sans dire qu’un périple au nord de l’île de Baffin est une aventure en région éloignée : aucun ravitaillement n’est possible, et il n’existe aucune installation permanente à l’intérieur du Parc National de Sirmilik. En fait, en cas de pépin en région montagneuse ou sur les glaciers, des unités de secourisme techniques seraient dépêchées du Parc National de Jasper !
Les premiers jours sont variés avec plusieurs montées et descentes. Nous devons traverser quelques canyons et ravins qui demandent beaucoup d’efforts, mais en général, nous prenons de l’altitude graduellement pour atteindre les 700 m. Rapidement, sous l’effort que nous devons déployer pour avancer avec nos traîneaux chargés de 25 jours de nourriture, de carburant et d’équipement - tout pour assurer notre périple en pleine autonomie - nous saisissons l’isolement et l’étendue du travail qui nous attend.
La grande majorité des jours, le soleil est au rendez-vous, l’air est sec et la température autour de -5°C le jour et de -10°C la nuit est idéale pour le ski et le camping d’hiver. Ainsi, ce sont presque toujours les skis aux pieds et le sourire aux lèvres que nous complétons aisément une cinquantaine de kilomètres en quelques jours.
Notre groupe de quatre aventuriers est ravi de ce début de parcours mais savons bien que cette température idéale ne peut continuer indéfiniment. Inéluctablement, la première tempête arrive subitement et nous oblige à modifier notre route quelque peu. La « haute route », qui était notre première option mais passait sur une calotte glaciaire exposée au vent et aux défis de navigation lors de tempêtes, est maintenant impraticable, et nous optons pour notre deuxième option : rejoindre la banquise au nord de Borden par une descente dans le grand canyon de la rivière Kilutea. Nous sommes nerveux, puisqu’il y a un grand inconnu : serons-nous capables d’éviter les falaises abruptes du canyon et de trouver une rampe d’accès pour y entrer ?
Après quelques faux espoirs où nous nous retrouvons bloqués par une topographie complexe et abrupte de falaises impraticables avec nos traîneaux, nous trouvons une voie de passage entre glaciers qui nous permet de quitter les hauts plateaux et commencer notre descente dans la Kilutea. Nous perdons rapidement plusieurs centaines de mètres d’élévation et nous nous retrouvons bien encaissés dans les hauteurs du canyon. À partir de ce moment, nous savions qu’il nous serait difficile – voire impossible – d’opérer un demi-tour et de remonter sur les plateaux. En conséquence, le jeu est simple : nous devrons trouver une sortie en suivant le canyon.
Ainsi, pendant plusieurs jours, nous suivons assez facilement le lit de la rivière qui, encastré par un canyon de plus en plus profond, devient simplement majestueux. Après une dizaine de jours de ski et 110 km depuis notre départ, ayant traversé les décors intrigants et grandioses de Borden, nous rejoignons la côte est de la péninsule de Borden sur les bords de l’océan Arctique. À ce point, nous sommes en bonne position pour traverser l’étendue glacée du détroit de Navy Board, et atteindre de l’autre côté l’île de Bylot, notre deuxième partie de la traversée. Mais, avant cela, parlons ours polaires…
Le plus grand risque de rencontre avec des ours polaires se situe toujours lorsque le trajet se rapproche des côtes et de la banquise, typiquement les domaines de chasse des ours. Pour la traversée de Sirmilik, le plus grand risque de rencontre se trouve donc dans les 25 km qui séparent Borden de Bylot. Stratégie pour minimiser le risque : effectuer la traversée en un jour, en s’efforçant de garder une distance de plusieurs kilomètres entre la banquise et nos deux emplacements de camping : avant et après la traversée de la banquise. Heureusement, nous ne rencontrons pas d’ours, et pouvons maintenant nous attaquer à l’île de Bylot !
L’île de Bylot commence à obtenir de plus en plus d’attention à l’échelle mondiale pour l’excellent terrain de jeu qu’elle offre pour le ski de montagne ; force est de constater qu’elle le mérite amplement. Nos premiers jours sur l’île sont caractérisés par une météo peu favorable avec des vents forts et incessants, mais nous atteignons tout de même rapidement le début du Glacier Savik, notre rampe d’accès pour les hauts plateaux. Nous mettons deux jours à monter les quelques 20 km et 1 000 m de dénivelé du glacier pour enfin nous voir récompensés par le soleil, qui sort juste comme nous atteignons le sommet du glacier !
Par la suite, pendant quelques jours, nous conquérons une série de passes de montagnes toutes plus belles les unes que les autres, avec des traîneaux qui pèsent de moins en moins lourds à chaque jour, et une météo splendide. Le moral est au beau fixe ! Tout va tellement bien que nous avons à ce moment-ci deux jours d’avance sur notre horaire, et nous décidons de les utiliser pour gravir et descendre à ski, six sommets situés le long de notre parcours, quatre desquels sont de premières ascensions (PA) : Angilaaq Mountain (1 944 m), Peak Nukaq (1 797 m), Mt. Osness (PA, 1 433 m), Mt. Piqsiqtuq (PA, 1 450 m), Snow Dome (PA, 1 498 m), Unnamed (PA, 1 693 m). Les détails de ces ascensions sont inclus dans l’article publié dans le Canadian Alpine Journal 2024 (p. 74-77).
Mais, bien sûr, toute bonne chose a une fin... Juste comme nous revenons au camp après avoir gravi Angilaaq, le rapport météo nous annonce une bien mauvaise nouvelle : une forte tempête de neige pour plusieurs jours s’annonce, mais surtout de forts vents pouvant mettre en péril nos déplacements. Le lendemain, force est de constater que c’est bien le cas, alors que nous sommes forcés de demeurer immobiles et de prendre notre mal en patience... Le jour d’après, malgré une météo qui s’est peu améliorée, nous décidons de nous mettre en mouvement puisque nous sommes à risque de devoir rationner notre nourriture si nous ne nous avançons pas ! Le vent est cinglant et la neige incessante, mais nous parvenons à gagner de précieux kilomètres.
Peu à peu, la météo s’améliore au cours des cinq derniers jours pour finalement nous offrir un ciel radieux à la toute fin. Le sentiment du devoir accompli, nous naviguons les derniers obstacles du glacier Sermilik, et apercevons notre ami inuit qui, avec sa motoneige, nous aide à traverser la vaste étendue d’eau glacée qui nous sépare de Pond Inlet. C’est un moment de soulagement : nous nous sommes rendus! Nous avons réussi! Et pourtant, c’est aussi un moment immensément nostalgique… Quand reverrons-nous ces imposants glaciers? Et ces montagnes dont le sommet, pour la grande majorité, n’a jamais été foulé par l’homme?
Finalement, sur l’avion qui nous ramène vers le Sud, il fait +36°C alors que nous atterrissons à Ottawa, tout un choc! Nous nous sentons remplis de gratitude. Gratitude pour les Inuits, ce peuple rieur et incroyablement accueillant, qui ont rendu ce voyage possible. Gratitude pour l’isolement, le caractère et la beauté absolue de la nature sur Baffin, qui n’a cessé de nous émerveiller à tous les instants. Gratitude pour notre équipe, soudée par l’amitié et de forts liens de confiance, composée de deux équipes père-fils, et qui a su relever les innombrables défis que nous offre un tel voyage. Baffin, tu nous as offert des moments incroyables. Une chose est certaine : nous reviendrons…
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